point d’argent, point de Suisse

Français modifier

Étymologie modifier

(1640) Origine incertaine. Les expressions moqueuses concernant les Suisses (parler à un Suisse, boire comme un Suisse) étaient déjà courantes au moment de la première attestation actuellement connue[1] de ce dicton. Celle-ci (Antoine Oudin, Curiositez françoises, pour supplément aux dictionnaires, 1640) en indique le sens : « si vous ne payez, vous ne serez pas servi »[2], mais ne dit rien sur son origine.
L’explication habituellement retenue est celle d’une menace de retrait des soldats suisses engagés par la France s’ils ne recevaient pas dûment leur solde, à un moment indéterminé des XVIe - XVIIe siècles. Une mazarinade datée de 1649 et intitulée Point d’argent, point de Suisse (emprunt significatif ou simplement ironique du dicton ?) reproche ainsi au cardinal Mazarin de reporter constamment la rétribution des régiments suisses et met en valeur leur comportement civilisé malgré ces impayés, opposé à la brutalité supposée des mercenaires d’autres nationalités[3]. L’expression se retrouve dans plusieurs autres mazarinades contemporaines.
Une datation spéculative et non attestée, mais pourtant très largement reprise par la suite, a fait remonter le dicton à la bataille de la Bicoque[4] (1522, aux abords de Milan). Cette défaite des armées de François Ier face à celles de Charles Quint est imputée à un affrontement trop précipité exigé par les mercenaires suisses exaspérés par le retard de leur solde, suivi par leur défection. Émile de La Bédollière évoque également la possibilité d’une origine liée à un épisode du règne d’Henri IV consécutif à la bataille d'Ivry (1590), toujours en rapport avec les troupes suisses[5]

Proverbe modifier

point d’argent, point de Suisse \pwɛ̃ d‿aʁ.ʒɑ̃ pwɛ̃ də sɥis\

  1. (Sens figuré) (Désuet) Il n’y a pas de service rendu sans rétribution, on n’a rien sans rien.
    • Vous savez mieux que moi point d’argent point de suisse
      Sans payer ma chanson, croyez-vous que je puisse
      Pour quelque grand merci donner ce qu’on me vend ?
      — (Sieur de Lavalise, La farce des courtisans de Pluton et leur pélerinage en son royaume, 1649, page 23)
    • Tous les plus gros monsieurs me parlaient chapeau bas ;
      Monsieur de Petit-Jean, ah ! gros comme le bras !
      Mais sans argent l’honneur n’est qu’une maladie.
      Ma foi ! j’étais un franc portier de comédie ;
      On avait beau heurter et m’ôter son chapeau,
      On n’entrait pas chez nous sans graisser le marteau.
      Point d’argent, point de suisse, et ma porte était close.
      — (Jean Racine, Les Plaideurs, 1668, acte 1, scène 1)
    • Le petit bonhomme de marquis veut donc me donner une assignation sur son trésor royal, et, de quatre années, m’en payer une à cause des dépenses qu’il fait à la guerre ! Je ferai signifier à monseigneur que je ne l’entends pas ainsi, et que, lui ayant joué le tour de vivre jusqu’à la fin de cette présente année, je veux être payé de mon dû ou deu. On écrivait autrefois deu ou dub, parce que dû est toujours dubium : mais dû, ou deu, ou dub, il faut qu’il paye ; et, point d’argent, point de Suisse. — (Voltaire, Lettre à M. de Cideville (25 novembre 1758), in Œuvres complètes de Voltaire, Garnier, 1880-1882, tome 39, page 537)
    • « Jacques, lui dit-il, mon ami Jacques (et il tapait de la main sur la table), point d'argent, point de Suisse, c’est la règle ordinaire. Voilà déjà une semaine et plus que tu bois, que tu manges, et je n’ai point encore vu, moi, de tes espèces. Pourtant, ni mon vin ni mes vivres ne peuvent ainsi se dissiper en fumées. Jacques, mon ami Jacques, as-tu de l’argent ? » — (L. V., Lui, Techener, 1835, page 209)

Variantes modifier

Traductions modifier

Prononciation modifier

  • France (Toulouse) : écouter « point d’argent, point de Suisse [Prononciation ?] »
  • (Région à préciser) : écouter « point d’argent, point de Suisse [Prononciation ?] »

Références modifier

  1. Collectif, sous la direction de Bernard Quemada, Matériaux pour l’histoire du vocabulaire français, volume 19, Klincksieck, 1981, page 17
  2. Antoine Oudin, Curiositez françoises, pour supplément aux dictionnaires, A. de Sommaville, 1640, page 517
  3. Arthur Piaget, Point d’argent, point de Suisse, Musée neuchâtelois, revue de la Société d'histoire du canton de Neuchâtel, janvier-février 1914, pages 154-158
  4. Édouard Monnais, Éphémérides universelles, tome 4, Chez Corby, 1829, page 422
  5. Émile de La Bédollière, Histoire des environs du nouveau Paris, G. Barba, 1861, page 329